Récemment, le bureau d’architectes gantois Marge Architecten soumettait une demande de subsides auprès de l’OVAM (Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij) pour le développement de « Carrousel », une chaise conçue à partir de matériaux circulaires. Le projet ne reçut pas le soutien financier demandé et ne passa pas le stade de la conception papier, mais le bureau d’architectes n’avait pas pour autant abandonné son rêve. Circubuild se penche sur les motivations derrière le concept Carrousel et lance un appel à quiconque pourrait aider, d’une façon ou d’une autre, à la réalisation de la fameuse chaise.
Du plastique : le sujet n’est pas nouveau. Nous savons entre autres qu’il vaut mieux ne plus utiliser de nouvelles matières premières. Nous savons qu’il y en déjà assez en circulation, et qu’il vaut mieux qu’elles reviennent dans le circuit des matériaux, via le recyclage ou le surcyclage. Une réflexion déjà mise en pratique avec des emballages réutilisables composés de bouteilles en plastique 100% recyclées. Pour les petits objets courants à usage unique, il existe déjà des avancées conséquentes.
Mais, pour les objets plus grands, c’est une autre paire de manches. Prenons l’exemple d’une chaise : il existe déjà de nombreuses chaises en plastique qui arborent fièrement un label circulaire. La plus connue est sans nul doute ODGER, commercialisée par Ikea, mais on peut également citer d’autre modèles tel que Broom de Philipe Starck ou encore Alfi de Jasper Morrison. Les deux premières sont réellement composées de matériaux recyclés, mais pas totalement : on parle de 85% pour OGDER et de 90% pour Broom. Cela signifie que leur production nécessite toujours l’ajout de matériaux neufs, ce qui complique potentiellement leur recyclage ou surcyclage en fin de vie. Plus précisément, ce sont leurs composants – deux matériaux distincts fortement entremêlés – qui posent problème. L’Alfi est quant à elle 100% circulaire, mais son prix de 409 euros/unité est tellement élevé qu’il empêchera sa part de marché d’avoir un réel impact sur le flux de déchets.
De plus, un autre obstacle majeur se dresse devant la chaise circulaire : les termes de surcyclage ou de recyclage n’ont pas de sens s’ils sont mis en œuvre avant que le produit soit en fin de vie. Pour les PMC, un système global de triage a été entretemps mis en place, que tout le monde connait et peut facilement mettre en place, mais les chaises (partiellement) circulaires finissent le plus souvent dans une filiale de traitement de déchets traditionnelle, et plus du producteur originel des matières premières. Dans le meilleur des cas, elles parviennent bien au producteur et peuvent être stockées pour le recyclage ou le surcyclage, mais c’est surtout le cas pour le mobilier non-composite, composé d’un matériau unique. Les composites s’avèrent beaucoup plus difficiles à gérer pour les transformateurs de déchets.
Le constat est désolant : ces fameuses chaises semblent vouées à rester à un statut de projet ou de prototype ou – dans le pire des cas – à devenir un exemple de greenwashing, aussi admirables soient les tentatives.
Deux facteurs semblent donc primordiaux quand on considère une chaise circulaire (tout comme pour une table, un meuble, …) … Le premier est que le produit offre une alternative financièrement abordable face au modèle classique issu d’un parcours non-circulaire : rien de nouveau sous le soleil, cela vaut pour toute technique innovante ou objet au niveau de la durabilité. Mais apparemment, les objets plus grands n’ont pas encore atteint ce statut. Qu’est-ce qui fait défaut ? Est-ce qu’on réfléchit à trop petite échelle ou trop localement ? Que se passerait-il si on développait une chaise destinée plutôt (voire uniquement) à de larges productions, pour équiper des salles des fêtes, écoles, cafétéria ou encore des bâtiments publics ? Go Big or Go Home, la solution ? Peut-être.
Le deuxième facteur à prendre en compte est que le produit revienne effectivement au transformateur de matières premières. Cela nous paraît être une occasion très intéressante à saisir. Imaginons que l’acheteur paye une sorte de « caution » lors de l’achat. Un montant modeste, mais suffisant pour motiver l’acheteur à ramener les chaises, surtout s’il en achète un grand nombre pour une salle des fêtes. Le client achète donc une idée, mais loue les matières premières. L’idée pourrait même être associée à un « passeport matériaux ». Dans un monde ultra contrôlé par d’innombrables labels et fiches techniques, le concept de « passeport matériaux » semble tout à faire envisageable via un petit symbole imprimé discrètement lors du moulage.
Si l’on va plus loin dans la réflexion, on peut se demander si les pouvoirs publics ne pourraient pas intervenir. Peut-être pourraient-ils offrir des motivations financières – en prenant à leur compte une partie de la « caution » ? – pour rapprocher les prix des produits circulaires sur le marché de ceux de leurs concurrents moins écologiques ? On pourrait aussi imaginer une méthode de calcul qui démontrerait que les produits circulaires sont plus avantageux sur le long terme, maintenant que le coût de certaines catastrophes naturelles devient peu à peu plus évident, et que la crise sanitaire a prouvé notre dépendance aux matières premières, encore plus pour un petit pays comme la Belgique. Pourquoi s’arrêter à des chaises ? Si le business model est viable, il pourrait être développé à plus grande échelle, des pièces pour automobiles aux bâtiments. Jusqu’à ce que l’unique réflexe logique soit de renvoyer le matériau vers le transformateur de matières premières.
Tout ceci n’est que spéculation, bien sûr, mais le bureau Marge Architecten s’est mis au travail et a développé une chaise circulaire. Vanheede a fourni la matière première : un composite de plastiques renforcés par des fibres organiques, 100 % recyclable et compatible avec les méthodes de productions classiques, comme le moulage par injection. La KUL étudierait la viabilité du modèle par des simulations de ce type de moulage. Rebel Group effectuerait des essais de business model et de commercialisation.
Les concepteurs ont baptisé leur objet Carrousel parce que la matière première ne s’arrête jamais et continue son cycle de vie.
L’idée continue à les titiller. Le changement d’échelle de l’emballage vers de grands objets, une production plus large et de grands flux de matériaux, les passionne toujours. Et l’idée de louer une matière première au lieu de l’acheter continue de les captiver.
Vous êtes intéressé ? Vous pensez pouvoir contribuer à ce projet ? Envoyez un mail à info@margearchitecten.be.