Jean Minne : « Le secteur de la construction doit devenir un écosystème durable et circulaire »
Depuis 1992, Composil est active dans le nettoyage et l’entretien des dalles de moquettes, pour les bâtiments de bureaux et de service (hôtels, magasins). Après une période Covid compliquée, Jean Minne, CEO depuis 2013, décide, avec ses associés, de transformer Composil en une entreprise à Impact, déterminée à mettre sur pied une nouvelle filière de réemploi et recyclage pour les dalles de moquette. Optimiste mais pragmatique, le chef d’entreprise est revenu pour Circubuild sur les raisons d’une telle trajectoire, et les challenges encore nombreux du secteur de la construction et de l’aménagement d’intérieur.
Une process efficace, une démarche simple pour le client
Lorsqu’en 2021, Composil étudie la possibilité de lancer une filière de réemploi et recyclage des dalles de moquettes, elle se tourne vers des partenaires afin d’assurer l’écosystème opérationnel. Le fabricant Tarkett, par exemple, est déjà impliqué dans la récupération de dalles usagées. Une fois cet écosystème en place, la machine se lance, pour ne jamais s’arrêter.
« Le process est somme toute assez simple : Nous sommes contactés par un client, possédant un gisement de matériaux, soit des dalles de moquette usagées dont il veut se débarrasser pour une raison ou une autre. Après s’en suit un audit sur site, où nous déterminons quelles dalles peuvent être reconditionnées. Celles-ci sont ensuite nettoyées en profondeur, par Composil et avec des produits ne contenant plus aucune substance chimique, excusez du peu. Les équipes des ateliers protégés prennent ensuite le relais, et s’occupent de la manutention et du triage, pour récupérer les dalles de moquette à reconditionner. Une fois qu’elles sont remises à neuf, elles sont ajoutées dans les stocks de réemploi de Composil. Les dalles trop endommagées sont quant à elles envoyées chez Tarkett, qui les réintègre comme matière première dans son circuit de production, avec une quantité de matière première nouvelle extrêmement faible, de l’ordre de 1 ou 2 %. Enfin, les dalles « irrécupérables » sont transformées en pellets de chauffage. Absolument rien n’est perdu ».
Un autre aspect innovant à souligner pour cette filière de réemploi est sans aucun doute la méthode de paiement : le client ne paie que pour les dalles non-reconditionnables. Celles remises effectivement à neuf par Composil intègrent ensuite leurs stocks propres de dalles de réemploi, proposées à la vente.
Ce modèle est particulièrement avantageux pour les entreprises. Tout d’abord pour leur image de durabilité bien sûr, mais aussi d’un point de vue économique, puisqu’ils ne doivent plus payer pour le démontage et l’envoi en incinération.
Projet à impact écologique ET social
En développant la trajectoire Use – ReUse – Recycle, Jean Minne et son équipe ont également voulu apporter une réel aspect social au projet. « Il faut bien l’avouer, lors de la réorientation de l’entreprise en 2021, je ne connaissais rien des ateliers protégés. Mais nous avons été directement convaincus qu’il s’agissait de la bonne option pour renforcer notre engagement social », reconnait le chef d’entreprise. Ces ateliers protégés, qui promeuvent l’intégration des personnes en situation de handicap dans la société, s’occupent de l’ensemble de la partie « manutention » du programme : le démontage, le tri, le reconditionnement et le stockage des dalles de moquette.
« Ce partenariat avec les ateliers protégés s’est révélé très enrichissant, pour tous impliqués. Nous avons appris à connaitre ces personnes en situation de handicap, à partager nos expériences. J’en suis convaincu, il s’agit d’une des meilleures décisions que nous ayons prises, et je suis vraiment fier de cette initiative, bénéfique pour le développement personnel de tous impliqués », déclare Jean Minne.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le changement radical opéré par Composil porte ses fruits sur le plan économique, avec de meilleurs résultats qu’auparavant, tout en offrant un cadre et des objectifs de travail porteurs de sens pour le dirigeant et ses employés. « Depuis que nous sommes une entreprise à Impact, nous avons l’ambition d’intégrer un écosystème d’entreprises durables et de participer à son développement, avec d’autres acteurs qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. D’un point de vue personnel, c’est très valorisant », ajoute-t-il.
La fin d’une ère d’absurdités écologiques ?
Jean Minne ne manque pas de scénarios ahurissants, en ce qui concerne les anciennes attitudes de consommation de certaines entreprises : « Il faut bien se rendre compte que certaines dalles que nous récupérons ont une durée d’utilisation proche de zéro. Un exemple parlant : un promoteur immobilier qui voudrait vendre ou louer un immeubles de bureaux va l’équiper de moquette pour les visites d’acheteurs potentiels. Et il est possible que l’acheteur ne veuille pas de cette moquette qui vient d’être installée. Nous sommes donc appelés pour récupérer un matériau neuf, ou pratiquement. Auparavant, cette moquette d’exposition aurait été simplement envoyée à l’incinération, ce qui représente un désastre écologique et économique ».
Même si les mentalités changent et que les entreprises sont de plus en plus concernées par les pratiques durables, le CEO de Composil estime que des obligations légales sont nécessaires, via des spécifications dans chaque cahier de charges, dans l’optique d’un secteur de la construction plus durable : « Le marché du réemploi a explosé en France dès que des obligations légales ont été mises sur pied. Ce n’est pas un hasard, évidemment. Les différents acteurs ont été forcés de trouver des solutions alternatives durables, ce qui a multiplié de façon exponentielle les initiatives de réemploi et d’upcycling », souligne-t-il.
Un public convaincu ? oui, mais…
Le chemin est encore long, et Jean Minne le sait. Mais il se réjouit d’ores et déjà du nombre d’entreprises convaincues par la plus-value des services de Composil. Il ressent notamment un « gap générationnel », c’est-à-dire une conscientisation bien plus importante au sein des plus jeunes générations, qui ont grandi en en étant sensibilisés aux grandes questions climatiques et écologiques. Ce ne qui n’est pas le cas évidemment pour les générations antérieures, celles de nos parents et grands-parents.
De plus, Jean Minne observe également ce qui pourrait être associé à un syndrome NIMBY (de l’anglais, Not In My BackYard) : « En effet, de plus en plus d’entreprises nous font confiance pour le réemploi et le recyclage de leurs dalles de moquette, mais dans l’idéal, nous aimerions les réutiliser in situ, ce qui n’est que rarement le cas, excepté pour l’entreprise Whitewood. Nous les remercions d’ailleurs pour leur confiance, et pour avoir poussé leur projet jusqu’au bout ». Selon le directeur de Composil, il s’agit surtout de combattre l’idée reçue que le neuf sera plus « beau » que l’ancien : « Nous pouvons présenter deux dalles identiques, une neuve et une reconditionnée par nos soins, et il serait impossible de les distinguer à l’œil nu », dit-il en souriant.
Des ambitions et des voyants au vert
Composil entretient près de 1.000.000 m2 de moquette chaque mois, et a déjà évité la création de plus de 230.000 kilos de déchets pour cette année 2023. Des chiffres impressionnants, qui démontrent l’impact écologique de Composil. Au vu de ces résultats, Composil voit grand : « A terme, nous espérons être le leader du marché au niveau européen, notamment en franchisant notre concept. Dans les 5 ans, nous espérons déjà couvrir tout le territoire français, et ensuite d’autres pays proches, via le système de franchise », avoue un Jean Minne ambitieux.
Pour remplir ses objectifs de croissance, Composil va continuer à propager la « bonne parole » circulaire, pour convaincre encore plus d’acteurs du secteur de la construction de la nécessité du réemploi de la moquette, notamment en proposant des bilans carbone précis démontrant la plus-value écologique de la manœuvre.
Composil se focalise pour l’instant sur le B2B, simplement parce généralement, les quantités de moquettes sont plus importantes dans les bâtiments de bureaux et services que chez les particuliers. Cependant, l’entreprise est prête à répondre aux demandes de n’importe quel client qui ferait appel à elle. Jean Minne ajoute : « Nous sommes également attentifs au développement de méthodes de recyclage des tapis individuels, dont la structure est somme toute très proche des dalles de moquette. Pratiquement tout le monde possède un tapis chez lui, cela constitue donc une source potentielle de matériaux qui peuvent être valorisés ou recyclés ».
Clin d’œil à une autre entreprise circulaire
Composil se charge également du nettoyage du mobilier de bureau en textile, et a mis sur pieds un partenariat avec l’entreprise de réemploi de ce type de mobilier Relieve Furniture, que nous vous avions présenté dans un précédent article. Cette dernière les récupère ensuite pour son catalogue de mobilier de bureau de seconde main.
« Je connais personnellement le CEO de Relieve, Jérémy Van Mullem, qui a fréquenté la même école que moi - nous étions dans la même année - en secondaires. Nous nous sommes retrouvés dans le monde professionnel un peu par hasard, et avons rapidement mis sur pied cette collaboration, un exemple parfait de la symbiose professionnelle que nous cherchons à créer avec différents partenaires, pour accélérer la circularité dans notre secteur », conclut Jean Minne.