Dans la construction circulaire, sur quels obstacles butent les fabricants ?

« La clé d'une transition réussie vers une construction entièrement circulaire est dans les mains des fabricants. » C'est ce qu'a déclaré Tim Ost (VK Architects & Engineers) lors d'une table ronde sur la construction circulaire organisée par architectura.be. Les producteurs présents à la rencontre ne sont pas contre le principe. Mais ils voient actuellement de nombreux obstacles dans le domaine.

 

En tant qu'ingénieur de projet de conception durable, Tim Ost sait de quoi il parle. « Au niveau des produits et des matériaux, c'est au fabricant de prendre des décisions si nous voulons pouvoir construire de manière entièrement circulaire. Si les produits ne sont pas repris par le fabricant en fin de vie, nous ne pourrons pas réellement parler de circularité au niveau du produit. » Les fabricants présents sont d'accord sur le principe, mais ils évoquent de nombreux obstacles sur la voie d'un tel modèle circulaire. « Nous recevons effectivement de la part du marché une demande pour utiliser nos matériaux sans les acheter. Mais si vous prêtez vos matériaux - ce qui, dans notre cas, est relativement facile car ils sont par définition démontables et donc faciles à réutiliser - la question principale est de savoir quelle en est la valeur résiduelle », déclare Caroline Christiaens, de Tata Steel.

Le neuf ? Pas toujours plus cher !

« Nous garantissons une durée de vie de 40 ans sur nos matériaux. Après dix ans d'utilisation, il y a donc toujours une garantie de 30 ans et vous pouvez les réutiliser ailleurs. Mais prenons l'exemple d'un panneau de bardage de l'un de nos revêtements les plus durables. Si vous souhaitez lui donner une seconde vie dans un autre projet au bout de 10 ans, il est probable que ce panneau n'aura ni la couleur ni la taille souhaitées et qu'il y aura également des trous causés par les vis du placement originel. Un nouveau panneau plus basique peut être fabriqué sur mesure, à la taille et à la couleur souhaitées et sera probablement au même prix que celui de la modification du panneau pour le nouveau projet. Pour de nombreux maîtres d'ouvrage, le choix est vite fait. On peut faire un parallèle avec la société en général et la culture du jetable. Il est souvent moins cher d'acheter un nouveau manteau chaque année chez Primark que d'investir une seule fois dans un modèle plus qualitatif et durable. De cette façon, nous pouvons également suivre facilement tous les caprices de la mode. Pour des raisons de commodité, nous oublions que nous soutenons ainsi le dumping économique et écologique. »

Quel dimensionnement fixe?

« En tant que producteur, si vous voulez réutiliser des matériaux, vous devez absolument aller vers un dimensionnement fixe. Cela signifie donc que vous ne pourrez plus répondre à certaines demandes du marché. Choisir, c'est sacrifier... », ajoute Eric Van de Heyning de WoodInc. « Quels dimensionnements deviendront suffisamment dominants pour être déterminants et pour que d'autres fournisseurs et sous-traitants suivent la nouvelle standardisation ? Concernant les matériaux, cette standardisation, associée à un nouveau modèle de financement basé sur le prêt plutôt que sur l'achat, pourrait être discriminatoire pour les petits producteurs, qui ne disposent pas du financement nécessaire pour un tel changement. »

Nouvelle législation sur la propriété 

« En interne, je rencontre également ce problème : on pense que nous produirons moins dans un modèle circulaire car il y aura littéralement plus de circulation sur le marché. Notre valeur ajoutée sera alors principalement orientée vers le service et se limitera à recycler le matériau et à faciliter sa réutilisation. Nous voulons en tenir compte dans notre vision à long terme, mais on voit que notre long terme est un trop court terme pour notre planète », reprend Caroline Christiaens, qui voit également un autre obstacle : « le cadre juridique de la propriété. Aujourd'hui, la façade fait toujours partie du bâtiment. Le cadre juridique doit permettre de considérer une façade - je veux dire l'étanchéité au vent et à l'eau, comme un matériau séparé et amovible. »

Changement d'état d'esprit

« Aujourd'hui, 9% de l'ensemble de l'économie mondiale est circulaire. Si nous voulons une économie circulaire complète, il reste encore un écart de plus de 90% à combler. Nous ne pouvons pas résoudre cela avec des améliorations ici et là, mais nous avons besoin d’un changement d’esprit global », explique Dominique Goven de Rockfon. « Pourquoi construit-on de manière circulaire aujourd'hui ? Tout d'abord parce que le client le souhaite. Nous voyons cependant que de nombreuses concessions sont faites pendant le  processus, car cela entraîne souvent des coûts supplémentaires. Ensuite, dans le cadre de projets Design & build, on regarde généralement la durée de vie des matériaux sur la durée du contrat, souvent de 25 à 30 ans. Cependant, il s'agit là du coût total de possession plutôt que de la circularité réelle. Ces éléments, comme mes collègues producteurs l'ont déjà dit, font que la construction circulaire, malgré les bonnes intentions, ne décolle pas vraiment pour le moment. »

Pour Eric Van de Heyning, « cela ne doit cependant pas être une raison pour ne pas opter pour la circularité. Je sis convaincu que le modèle économique de la construction circulaire sera finalement rentable pour toutes les parties grâce à des matériaux démontables qui conservent leur valeur au lieu d'avoir des coûts liés aux déchets, mais aussi grâce à des amortissements à plus long terme et à une valeur de revente plus élevée d'un bâtiment durable »,  conclut-il.

 

Partager cet article:

Nos partenaires