Valoriser des arbres considérés comme uniquement bons à être réduits en sciure ou incinérés : telle est la mission de l’entreprise de menuiserie RespecTable, via son projet « RobinWood » (les fans de calembour auront compris immédiatement la référence). Soutenu par Circular Wallonia et sélectionné comme projet lauréat de l’appel à projets « Chantiers et services circulaires », RobinWood récupère, traite et transforme le bois de robinier, un arbre très répandu en Belgique, poussant notamment sur les friches industrielles, le long de nos autoroutes et voies ferrées. Adrien Meirlaen, directeur de RespecTable, s’est entretenu avec Joaquim Dupont pour Circubuild. Il nous présente son projet, ses objectifs et nous dévoile son avis quant à la construction circulaire en Wallonie.
Joaquim Dupont : Comment s’est développé RespecTable, et comment avez-vous lancé le projet RobinWood ?
Adrien Meirlaen : J’ai fondé RespecTable il y a bientôt 10 ans maintenant, avec l’objectif de créer une menuiserie spécialisée en développement durable. Notre évolution vers la durabilité et la circularité dans nos pratiques a été assez progressive. Nous avons rapidement décidé de bannir le travail de toute essence de bois exotique, ensuite nous sommes devenus membres du réseau Bois Local[1].
Dès nos débuts, en 2012 - 2013, nous avons commencé à utiliser le robinier pour nos productions (de bardages notamment), mais que nous ne trouvions qu’en Hongrie ou en Roumanie. Puis nous avons réussi à trouver des fournisseurs dans le Sud de la France. Mais dans un même temps, nous nous rendions bien compte que le robinier pousse partout en Belgique, notamment sur les friches et les parcelles à l’abandon, car il s’agit d’une essence pionnière, avec une croissance très rapide. De là est parti notre envie de créer notre propre filière belge de robinier. C’est ce qui est arrivé avec RobinWood. Nous travaillons pour le moment avec des partenaires privés, et prélevons les arbres sur des friches industrielles, des carrières, des terrils.
A côté de ça, nous avons progressivement évolué vers une entreprise circulaire, et nous sommes aujourd’hui quasiment zéro-déchet : par exemple, nos cartes de visite sont faites à partir de chutes de plan de travail ou encore, nous créons nos propres cartons d’emballage, en récupérant des cartons d’autres entreprises déjà utilisés. Nous avons toujours eu cette philosophie de récupération et de circularité, et nous cherchons constamment à instaurer d’autres initiatives dans cet esprit.
J.D : Quels sont les objectifs fixés pour RobinWood, à court et moyen termes ?
A.M : A court terme, nous cherchons à solidifier notre filière et à valider toutes nos hypothèses quant à la viabilité de notre démarche. La première « fournée », si je peux m’exprimer ainsi est en cours. Nous avons récupéré 40m3 de robinier (l’équivalent de 2 camions de livraison), actuellement en séchage dans notre atelier. Ensuite, nous espérons évidemment vendre les produits finis réalisés, et créer un cycle de production : il faut énormément de temps entre la réception du bois coupé, et la vente de planches transformées (entre 1 an et demi et 2 ans). L’objectif est donc d’établir ce cycle de production constant.
A moyen terme, nous espérons augmenter la production pour qu’une large part du robinier utilisé en Wallonie soit wallon. Pour donner une estimation chiffrée, nous envisageons de transformer environ 1500m3 de robinier par an, d’ici l’horizon 2030.
J.D : Si tout se déroule comme prévu, quelles seront les étapes de développement suivantes ?
A.M : Quand nous aurons assis la filière de robinier wallon en économie circulaire, l’objectif est de transposer la démarche pour toutes les autres essences, qui sont souvent considérées comme des « bois déchets » : je pense au frêne, à l’aulne, au bouleau, voire le peuplier. Pour ces développements, nous n’avons encore aucune certitude quant au temps nécessaire pour les mettre en place, mais nous espérons produire aux environs de 8.000m3 par an, soit 10% des flux de feuillus exploités en Wallonie.
J.D : Vous récupérez du robinier depuis des espaces privés, alors qu’il pousse allègrement le long de nos autoroutes et de nos lignes de chemins de fer. Est-il possible d’imaginer un partenariat avec des instances publiques ?
A.M : Ce serait le scénario rêvé, parce que cela mettrait à notre disposition des ressources quasiment illimitées. Le bois le long de ces axes est aussi coupé régulièrement (pour des raisons de sécurité) avant d’être détruit directement. Malheureusement, il est encore très difficile aujourd’hui de faire bouger toutes les instances nécessaires afin de recevoir toutes les autorisations. Mais nous n’abandonnons pas pour autant cette piste : lentement mais sûrement, en multipliant les réunions, les contacts, les présentations de projet auprès des instances concernées, nous parviendrons à activer cette filière d’approvisionnement très intéressante pour nous.
J.D : Vous êtes soutenus par Circular Wallonia et avez été sélectionné comme projet lauréat de l’appel à projets « Chantiers et services circulaires ». Vous bénéficiez d’un accompagnement de votre projet pendant 2 ans. Quels avantages retirez-vous de votre sélection et de cet accompagnement ?
A.M : Premièrement il y a le soutien financier. Nous avons reçu une enveloppe de subsides conséquente, qui nous a donné un vrai coup de pouce au démarrage, pour amortir nos investissements. Ensuite, on en parle un peu moins, mais ce soutien crédibilise fortement notre projet. Enfin, cela nous a permis de faire grandir notre réseau, de rencontrer des parties intéressées, tout comme d’autres entreprises également impliquées dans des démarches circulaires innovantes : tout cela permet un partage des connaissances et des expériences, qui ne peut qu’être bénéfique.
J.D : Ressentez-vous justement un manque de développements de tels projets circulaires en Wallonie ?
A.M : Ah totalement, j’ai l’impression plutôt qu’on n’en est encore qu’aux prémisses en Wallonie. Hormis pour les filières historiques d’économie circulaire – je pense par exemple à la récupération des métaux – nous en sommes toujours au commencement. Il y a encore tout à faire. Nous ressentons quand même un changement, surtout au niveau de la façon dont nous sommes considérés : il y a quelques années encore, nos idées faisaient rigoler. Au départ, avec notre projet, nous passions un peu pour des illuminés. Maintenant que nous avons avancé de façon concrète, nous sommes pris au sérieux, et nos objectifs ne paraissent plus tellement hors d’atteinte. Après cela dépendra toujours de l’interlocuteur : quelqu’un qui n’a jamais pris en compte le développement circulaire ne comprendra pas nos démarches ; alors que quelqu’un impliqué dans ce secteur sera vite convaincu de l’étendue des possibilités liées à notre projet.
Pour plus d’informations sur l’entreprise RespecTable et ses différents projets, nous vous invitons à visiter leur site officiel.
[1] Créé par l’office économique wallon du bois, qui garantit du bois prélevé dans un rayon de 200km autour de l’entreprise membre.