La décarbonisation du secteur de la construction au centre d'une conférence à Bruxelles

Le 30 août dernier, j’ai assisté pour Circubuild à la conférence « Enjeux, bonnes pratiques et visions sur la décarbonation dans la construction Belgique/France ». Elle comprenait la présentation du prochain Batimat, le salon mondial du Bâtiment et de la Construction, qui aura lieu à Paris du 3 au 6 octobre. Pour l’occasion, le directeur du salon, Guillaume Loizeaud, a détaillé les axes principaux de cette édition. Sa présentation était précédée de l’intervention de l’architecte belge Sebastian Moreno-Vacca, cofondateur du bureau d’architecture avant-gardiste A2M. Retour sur les enseignements et moments forts de cette session.

 

« Allez-y », l’appel de Sebastian Moreno-Vacca

A2M est un bureau d’architecture interdisciplinaire mondialement reconnu pour son engagement écologique et sa philosophie architecturale durable et innovante. Depuis 2003, le bureau ne réalise plus que des bâtiments passifs ou CO2-neutre. Sebastian Moreno-Vacca explique cette décision, motivée par deux raisons majeures : premièrement, dans un souci de respect de l’environnement, en tant qu’obligation morale envers les générations futures. Deuxièmement, parce que c’est possible et logique, tout simplement : « On continue à entretenir le mythe que la construction passive doit nécessairement être coûteuse et pénible, alors que ce n’est pas du tout le cas. Avec les techniques modernes, il est possible de construire des bâtiments passifs aussi simplement que des bâtiments classiques. Pour vous donner une idée à quel point, certains de nos clients ne sont pas au courant que nous leur construisons un bâtiment passif. »

Et quand on lui demande son meilleur conseil pour se lancer dans la construction passive, l’architecte répond sans tarder : « Mais allez-y. Il faut se débarrasser de l’idée qu’il y aura plus de contraintes et de difficultés que dans la construction traditionnelle. » Un message fort, mais qui s’appuie sur plusieurs décennies d’expérience dans le domaine, et un portefolio rempli d’édifices prestigieux, aux quatre coins du globe ou presque.

 

Batimat 2022 : transmettre la bonne parole de la construction low-carbon

Après avoir sillonné le monde pendant plusieurs mois avec son équipe pour découvrir les pratiques durables mises en place dans d’autres pays, Guillaume Loizeaud, directeur du salon Batimat, était de passage à Bruxelles. Il y a exposé les objectifs de la prochaine édition, ainsi que les nouveaux axes du salon. « Cette année, nous avons décidé d’accélérer notre mission « d’évangélisation » pour un changement en profondeur et surtout global du secteur de la construction. Cela implique des décisions fortes, et nous avons décidé de nous imposer les mêmes changements radicaux, à commencer par notre ligne éditoriale », explique-t-il.

Les 4 axes principaux de Batimat 2022:

  • Préserver l’environnement, notre responsabilité
  • Bien vivre dans la ville en 2050, notre projet
  • Valoriser les métiers, notre priorité
  • Transformer les méthodes, notre ambition

Avec des investissements massifs, le Salon lui-même se veut être une vitrine pour ces engagements. Les organisateurs ont mis l’accent sur les transports et la mobilité douce des visiteurs et ont largement augmenté la part de matériaux réutilisés pour la construction du site, ainsi que leur réemploi après le site. Enfin, Guillume Loizeaud et ses équipes ont entrepris une chasse agressive contre toute tentative de greenwashing, qu’ils se sont strictement interdits également : « Si nous voulons faire bouger les choses, nous devons nous aussi assumer notre impact écologique, et faire preuve d’une transparence absolue quant aux efforts que nous devons encore fournir, cette édition et les prochaines. »

 

Aller plus loin, voir plus grand

Les deux keynote speakers s’accordaient pour dire que l’entièreté du secteur devait fournir des efforts supplémentaires et s’engager totalement dans une recherche d’innovation. Selon Sebastian Moreno-Vacca « Il est essentiel que le secteur de la construction s’adapte dès maintenant au monde du futur, dont nous connaissons déjà les défis, les plus grands étant la disponibilité – ou plutôt l’absence – de certaines matières premières et bien sûr le changement climatique. »

Dans cette démarche, A2M prend de nouveau les devants, et construit désormais des bâtiments à impact carbone négatif, des bâtiments ‘unplugged’, c’est-à-dire qui ne sont pas reliés à des sources d’énergie extérieur, ou encore totalement auto-suffisants, même en eau. S’il fallait citer un exemple, A2M termine en ce moment la rénovation du siège belge d’ING, en plein centre de Bruxelles. Le bureau d’architecture, tout en conservant l’enveloppe de ce bâtiment classé au patrimoine et datant des années 60, a transformé l’édifice en un bâtiment aux performances énergétiques exemplaires, rejetant près de 90% moins de C02 que son prédécesseur. Cela équivaut à la captation de carbone d’une forêt de la taille de la commune d’Ixelles.

Cette tendance à la regenerative architecture & urbanism est aussi fortement défendue par Guillaume Loizeaud, comme le démontre le choix d’un thème central de Batimat 2022 : « Bien vivre dans la ville en 2050, notre projet ». Selon le directeur du salon, il est nécessaire de mettre à niveau les parcs de logements des villes d’un point de vue énergétique, mais aussi de maximiser la couverture végétale dans celles-ci, pour contrer les effets néfastes du réchauffement : « Nous l’avons déjà fortement ressenti cette été, avec les chaleurs historiques que nous avons connues en Europe : le béton dans les villes augmente encore les températures au sol. C’est prouvé, la différence de température entre une rue longée d’arbres et une dépourvue de végétation peut atteindre plus de 2° Celsius ».

Comme le rappelle également Guillaume Loizeaud, la révolution durable du secteur de la construction passe par une approche globale : « Il serait complètement stupide de créer des villes C02-négatives, si nous ne changeons pas nos habitudes de production, de construction et de consommation. Un exemple parlant est l’impact écologique du l’industrie du béton, responsable de 3% des émissions totales au niveau mondial. Nous devons donc changer nos comportements, nos procédés et nos processus à l’échelle du secteur tout entier ».

 

Une question chacun

Joaquim Dupont :  On vit dans un contexte inédit mondial inédit, avec les crises du Coronavirus et ensuite du conflit russo-ukrainien : les prix de l’énergie s’envolent, et de nombreuses matières premières sont indisponibles ou de plus en plus rares. Ce contexte agit-il comme un frein ou un accélérateur pour le secteur de la construction.

Guillaume Loizeaud : Sans aucun doute comme un accélérateur. Ces crises renforcent le besoin de solutions, et donc d’innovations. Auparavant, pour passer d’une solution à une autre, ou d’un matériau à un autre, on connaissait des cycles de 5 à 10 ans, au minimum. Depuis que les crises successives du Corona et de la guerre en Ukraine et les conséquences qu’elles impliquent, ces cycles se sont accélérés de façon exceptionnelle. Face à des pénuries ou d’autres difficultés, les entreprises n’ont d’autre choix que d’accélérer leurs recherches pour des solutions alternatives. De la même manière, j’espère que les effets du réchauffement climatique que nous avons expérimenté ces deux derniers étés vont nous donner un nouvel élan puissant aux recherches de solutions durables pour notre secteur.

 

Joaquim Dupont : Vous développiez dans votre présentation une réflexion intéressante à propos des parkings sous-terrain, qui seront dans le futur inutiles au vu de la fin des automobiles roulant à l’énergie fossile. Comment imaginer maintenant des parkings qui pourraient être transformés lorsque nous n’en aurons plus besoin ?

Sebastian Moreno-Vacca : Effectivement, les parkings sous-terrain sont amenés à devenir obsolètes, si ce n’est pas déjà le cas. Je pense que la meilleure attitude, c’est de les imaginer comme des espaces utiles, qui peuvent être transformés avec très peu de modifications et réutilisés pour une toute autre application qui demande une grande surface au sol : des écoles ou salles de classe, des installations sportives, des supermarchés, que sais-je.

Il y a aussi d’autres réflexions intéressantes pour les intégrer dans les « futureproof cities ». Un exemple, la montée des eaux, qui impactera toutes les villes le long des côtes et des fleuves : dès lors, pourquoi ne pas modifier la topographie des lieux, en créant des espaces en hauteur pour les bâtiments, avec des zones dans des sortes de cuvettes, qui pourraient servir comme lieu de parking, et deviendraient des lacs artificiels quand le niveau de l’eau augmenterait ? Cela amènerait un changement de décor, protégerait les zones habitées, tout en permettant une utilisation utile d’ici là. Ça a l’air totalement futuriste, mais c’est un principe de base d’utilisation de la topographie, qui a toujours existé.

 

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