L'un des principes les plus importants de la construction circulaire est de privilégier la réutilisation au recyclage des matériaux de démolition. Pourtant, la réutilisation est encore trop peu présente dans la construction. L'une des principales raisons est l'habitude de ne pas concevoir les produits de construction en tenant compte de leur durée de vie maximale, l'objectif étant de vendre le plus grand nombre possible de nouveaux produits. Par conséquent, pour rendre la construction circulaire viable, nous devons développer des produits de construction dont il est possible valoriser la valeur résiduelle. Des premières mesures en ce sens ont déjà été prises aujourd'hui, notamment avec de nouveaux modèles de rémunération. Pourtant, ces initiatives restent marginales. C'est dommage, car l'utilisation de la valeur résiduelle pourrait vraiment stimuler la construction circulaire.
De nombreuses personnes accolent au secteur de la construction une étiquette conservatrice. Depuis des années – en réalité, depuis la révolution industrielle - nous construisons de la même manière. Et surtout, nous tombons toujours dans les mêmes panneaux : en accordant trop peu d'attention au recyclage et à la réutilisation, malgré les conséquences négatives pour les personnes et l'environnement. Sur cet aspect, le secteur de la construction est un exemple de l'économie jetable dans le monde occidental.
Fort heureusement, ces dernières années, le concept de durabilité a de plus en plus pénétré le secteur de la construction, au vu des objectifs climatiques. Toutefois, les initiatives dans ce domaine - comme les produits renouvelables ou démontables, les installations d'énergie renouvelable ou la construction circulaire ou adaptative - n'en sont encore qu'à leurs débuts ou n'ont pas encore l'ampleur nécessaire pour rendre le secteur véritablement durable. Cela s'explique par le fait qu'il y a peu ou pas d'argent à gagner avec la réutilisation, à la base de nombre de ces initiatives. Et cela freine leur percée. Pour réduire l'extraction de nouvelles matières premières et stimuler la réutilisation, nous devrons évaluer financièrement la valeur résiduelle des produits de construction.
Cependant, nous n'en sommes pas encore là. Malgré des initiatives telles que Rotor, Werflink et Opalis, qui valorisent rétroactivement les produits et systèmes de construction usagés, le marché de seconde main pour les matériaux de construction est très restreint. La raison est évidente : pourquoi les fabricants devraient-ils s'inquiéter de la valeur résiduelle alors qu'ils peuvent se contenter de vendre des produits neufs ?
Un nouveau modèle de rémunération
Pour faciliter réellement la réutilisation dans le secteur du bâtiment, les producteurs et les acheteurs ont besoin d'une motivation financière. Ce qui est possible avec un modèle de rémunération différent, comme le produit en tant que service. Dans ce modèle, auquel certains fabricants de produits de construction ont déjà partiellement adhéré, le fabricant met le produit à disposition et vend un service lié au produit : un chauffagiste vend un climat intérieur confortable au lieu de radiateurs, un fabricant de panneaux acoustiques vend une bonne acoustique au lieu de panneaux, un spécialiste de l'éclairage vend des heures de lumière au lieu de luminaires, etc.
Le producteur conclut un contrat avec le client qui garantit une performance qui ne dépasse pas la durée de vie du produit. Le fabricant, ou le bailleur en fait, travaille mieux avec un partenaire financier car, contrairement à ce qui se passe dans un modèle linéaire, il ne reçoit pas immédiatement le prix total de son produit, puisque le contrat fonctionne avec des locations périodiques, généralement mensuelles. Après la durée du contrat, le produit retourne au fabricant. Les passeports de matériaux des bâtiments, par exemple par l'intermédiaire d'un fournisseur comme Madaster, y contribuent. Le fabricant peut alors vendre son produit à la valeur résiduelle prédéterminée. Ou bien il peut réutiliser lui-même le produit ou certaines de ses parties. Le fabricant est donc rémunéré deux fois pour le même produit.
Le modèle de rémunération offre d'autres avantages. Par exemple, les fabricants réduisent leur dépendance à l'égard du marché (très volatile) des matières premières. De plus, ils peuvent proposer un prix de vente initial plus bas et renforcer leur position concurrentielle, puisque le produit est toujours exploitable après l'expiration du contrat. Le modèle de revenu "produit en tant que service" fonctionne généralement avec des paiements mensuels fixes, par analogie avec la location et le bail. De cette manière, le fabricant génère également un flux de revenus stable.
Travailler avec un product as a service et une valeur résiduelle est pour cette dernière raison également intéressant pour l'acheteur. L'acheteur ne doit pas faire un gros investissement en une seule fois. Il ne doit pas non plus payer la valeur totale car le produit sera revendu à la fin. Enfin, il ne se retrouvera pas plus coincé avec une installation possiblement obsolète à la fin du contrat.
Le produit restant la propriété du producteur ou du partenaire financier qui le reprend à la fin du contrat, il est dans l'intérêt du producteur de fabriquer le produit le plus durable possible - un produit qui dure plus longtemps que les produits conçus dans le cadre de l'économie du jetable - et de l'entretenir correctement. La boucle est ainsi bouclée.
Une condition sine qua non de la réussite du concept product as a service est bien sûr que le produit puisse être démonté. Si ce n'est pas le cas, le modèle économique est immédiatement moins intéressant.
Il existe certainement d'autres possibilités de façonner le modèle du produit en tant que service. Par exemple, les prestataires de services spécialisés peuvent devenir un intermédiaire entre le producteur et le client. Afin de ne pas rendre la chose trop complexe, nous ne nous étendrons pas ici sur ces autres interprétations du modèle.
PAS DE TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ
À quoi ressemble le modèle de rémunération d'un produit en tant que service ? Ruben Van Daele, chef de projet chez le promoteur Bopro, en a l'expérience et l'explique : « En termes de modèle de rémunération, un modèle de produit en tant que service ressemble beaucoup à un contrat de leasing opérationnel full service : le fabricant fabrique le produit, après quoi il le met à la disposition de l'utilisateur, sans transfert de propriété. Le fabricant garantit le fonctionnement du produit et assure son entretien et sa consommation d'énergie. L'utilisateur définit les performances qu'il attend du produit et la compensation financière qu'il est prêt à payer pour cela, y compris une prime pour la reprise et la garantie de performances. »
« Un bon exemple est le coût par kilomètre parcouru et par minute réservée avec une voiture partagée, par lequel l'utilisateur peut voir s’appliquer un certain bonus-malus si son style de conduite génère une usure inférieure ou supérieure à l’usure standard fixée. Le modèle de rémunération est simple : une estimation est faite de tous les coûts sur l'ensemble du cycle de vie et ceux-ci sont réglés en fonction des paramètres utilisés dans l'accord de performance. Dans ce cas, la durée d'utilisation et la distance parcourue. »
« Le financement incombe au producteur, pas à l'utilisateur. Un organisme financier préfinance la production, car le paiement en plusieurs étalements par l'utilisateur du produit peut créer un problème de liquidité pour les producteurs, qui doivent payer le montant total à leurs fournisseurs beaucoup plus rapidement. L'absence de garantie immobilière augmente le risque par rapport à un prêt hypothécaire traditionnel, ce qui rend le financement beaucoup plus cher. Si l'ensemble de la chaîne fonctionnait selon ce modèle, dans lequel les produits conservent leur valeur et leur emplacement peut toujours être retracé, ce risque disparaîtrait et la prime de financement pourrait être réduite. Il y a encore du travail à faire dans ce domaine. »
« Une prime plus élevée pour l'organisme de financement et une prime plus élevée pour le producteur qui doit garantir la performance de son produit tout au long de sa vie font actuellement grimper le prix de revient du modèle product as a service. Par conséquent, il faut rechercher des bénéfices supplémentaires ailleurs. L'une de ces opportunités réside dans un autre pilier de la construction circulaire, à savoir la standardisation, une caractéristique de la construction orientée vers le changement. Lorsque le même composant peut être appliqué à grande échelle, des économies d'échelle sont créées. La standardisation augmente également la valeur résiduelle dans le calcul de ce que l'on appelle l'indicateur de coût environnemental ou le prix fictif environnemental. » Il convient toutefois de noter que la standardisation des éléments et systèmes de construction n'est pas toujours souhaitée par les architectes en raison des contraintes de conception, réelles ou non, qu'elle implique.
Selon Ruben Van Daele, il existe une autre possibilité intéressante de rechercher des bénéfices et de réduire les coûts : « Le modèle de rémunération ne peut jamais être considéré séparément du produit. Si un meilleur produit est créé grâce au modèle de rémunération, le risque de la garantie de performance pour le producteur diminue et la valeur livrée à l'acheteur augmente. »
Comment déterminer à l'avance la valeur résiduelle?
De nombreux fabricants de produits et systèmes de construction n'osent pas encore attribuer une valeur résiduelle à leurs produits. Cela est dû en grande partie à l'évolution des circonstances. Facadeclick, fabricant d'un système circulaire de construction rapide pour les façades en briques, par exemple, affirme que dans vingt ans, les briques coûteront plus cher qu'aujourd'hui et que cette inflation rend plus difficile la détermination de la valeur résiduelle. Le montant des coûts de démontage à ce moment-là et le fait que le produit sera plus reconnu à ce moment-là et aura donc éventuellement un prix de vente plus élevé, sont des facteurs inconnus qui déterminent la valeur résiduelle. Alors comment déterminer à l'avance la valeur résiduelle d'un produit ? Nous avons consulté Econocom Belux, qui a consacré un chapitre à la valeur résiduelle dans son récent rapport sur le financement de l'économie circulaire.
Selon Econocom Belux, pour pouvoir déterminer la valeur résiduelle d'un produit, il faut définir et calculer un ensemble de processus opérationnels et logistiques. Au niveau opérationnel, cela correspond aux réponses aux questions suivantes :
Les autres points d’interrogations au niveau logistique :
En résumé, les paramètres suivants jouent un rôle dans la détermination de la valeur résiduelle des produits :
Malgré la théorie de la durabilité, un modèle économique circulaire basé sur la valeur résiduelle est loin d'être la nouvelle norme dans le secteur de la construction. Selon le secteur lui-même, cela est dû à l'absence de couverture des risques pour le producteur et l'acheteur, aux coûts élevés du démantèlement et à la réticence à prendre aujourd'hui des décisions qui ne seront rentables que dans 20 ou 30 ans. Pourtant, il existe déjà quelques exemples pratiques de réussites. Nous les présenterons prochainement, dans la deuxième partie de cet article.