Au Japon, sur l’île de Yakushima plus exactement, l’architecte Tsukasa Ono a développé un projet de résidence communautaire totalement inédit et à l’impact positif sur son environnement. L’architecte nippon a adapté le principe de regenerative architecture à l’ensemble du site, avec l’aide des 8 co-propriétaires, tous impliqués dans le projet Sumu Yukashima.
Tsukasa Ono a développé le Sumu Yukashima pendant la période de confinement successive à la pandémie du Covid-19. Il quitte Tokyo et ses 14 millions d’habitants, et s’installe sur l’île de Yukashima, dans un hôtel appartenant à un de ses amis proches. Petit à petit, l’idée de créer un espace d’habitat communautaire fait son chemin, et d’autres amis rejoignent le projet.
Regenerative Architecture : de quoi parle-t-on exactement ?
Les bâtiments sont responsables de 40 % des émissions totales de CO2, au niveau mondial : les professionnels de la construction sont souvent (et à raison) pointés du doigt quant à leur impact nocif sur notre planète, qui souffre plus que jamais du changement climatique. Le concept de regenerative architecture représente une nouvelle réponse aux différentes limites inhérentes de l’architecture durable, soulignées par de nombreux architectes et spécialistes de l’environnement.
« L’idée de durabilité dans l’architecture est apparue de toute urgence comme un moyen de panser les dommages environnementaux. Un large éventail de pratiques de durabilité ne vise pas plus haut que de rendre les bâtiments « moins mauvais », servant de mesures inadéquates pour l’architecture actuelle et future. Le problème avec l’architecture durable est qu’elle s’arrête au « maintien » ».
L’architecture régénérative entend donc inverser les dommages écologiques et avoir un impact net positif sur l’environnement naturel. On pourrait donc la définir donc comme « une pratique consistant à engager le monde naturel comme support et générateur d’architecture ». L’élément clé du concept de regenerative architecture est l’intégration de tout ce qui entoure le bâtiment dans la réflexion. Un bâtiment régénératif va donc comprendre des structures qui imitent les processus de régénération que l’on retrouve dans la nature.
Au-delà de l’intégration douce
L’architecture régénérative entend créer une relation symbiotique entre un bâtiment et son environnement, et nécessite pour cela une approche systémique, qui dépasse la simple intégration de quelques éléments de conception durable dans le processus de conception.
Tsukasa Ono et son groupe d’amis ont mis en place une telle approche pour leur projet d’habitat communautaire. Le terrain sur lequel la communauté est construite appartient à l'un des membres. Le site et la disposition des bâtiments ont été déterminés après une évaluation approfondie de la position des arbres existants, de l'écoulement de l'eau et d'autres facteurs environnementaux.
Son approche associe entre autres l’ingénierie japonaise traditionnel aux technologies modernes pour créer des bâtiments qui s'adaptent à leur environnement et contribuent positivement à la croissance des plantes et autres organismes alentours. Les différents bâtiments sont implantés parmi les arbres existants et sont surélevés par rapport au sol de la forêt afin de favoriser l'écoulement naturel de l'air des collines vers la mer.
Des pieux en bois, dont la surface a été brûlée, sont enfoncés dans le sol sous les fondations de chaque bâtiment. Le bois brûlé favorise la croissance du mycélium (ensemble de filaments de champignon), ce qui à son tour favorise la croissance des racines des arbres et contribue à renforcer le sol.
Ono est un spécialiste de l'utilisation des bactéries et des champignons dans l'architecture et pense que la mise en œuvre adéquate de ces concepts peut enrichir la nature, tout en rendant les bâtiments plus robustes et confortables.
« La méthode de construction régénérative mise en place à Sumu maintient en vie les micro-organismes du sol », souligne l’architecte nippon, « et en activant les bactéries, le bâtiment artificiel peut se connecter au réseau naturel. En procédant ainsi, il est possible de créer une relation d’entraide avec le milieu environnant et de modifier l'environnement de manière plus positive ».
Le rôle des espaces intérieurs
Tsukasa Ono a également utilisé un plâtre fermenté pour les murs et les sols intérieurs, obtenu en mélangeant du charbon de bois et un certain type de bactéries. Selon l'architecte, ce plâtre contribue à créer un environnement interne stable en empêchant la formation de moisissures et d'autres bactéries susceptibles de provoquer des processus de pourriture. Les bâtiments de Sumu Yakushima offrent des espaces de vie confortables, étanches à l'air et très bien isolés, ce qui réduit au minimum les besoins de chauffage et de refroidissement. Toute l'énergie est produite par des panneaux solaires et stockée dans des batteries, du bois de chauffage local étant utilisé pour le chauffage et la cuisine.
Les bâtiments sont construits avec du cèdre local de Yakushima, qui est plus riche en huile que le cèdre d'autres régions, ce qui le rend durable et adapté à une utilisation extérieure dans le climat pluvieux et humide, comme c’est le cas sur l’île. Le plan du site comprend plusieurs cabanes reliées par des chemins extérieurs. Certaines cabanes contiennent des installations communes, notamment le salon, la cuisine et la salle à manger, tandis que d'autres sont utilisées comme logements privés.
La vraie signification « d’habiter au cœur de la nature ».
De grandes terrasses extérieures créent un véritable sensation d’immersion dans leur environnement, tandis que la nécessité de traverser la forêt pour effectuer des activités routinières comme cuisiner ou se laver renforce ce lien avec la nature.
Les résidents de la coopérative adoptent également un "mode de vie régénérateur", qui comprend des activités telles que la collecte de bois mort pour le chauffage et le débroussaillage pour améliorer la circulation de l'air sur le site.
Selon Ono, ces tâches créent un sentiment plus fort d'esprit communautaire, tout en aidant l'environnement naturel à s'épanouir et en atténuant tout impact négatif de la construction. « Depuis la révolution industrielle, les humains ont détruit et consommé la nature », ajoute l'architecte. « Si cette architecture régénératrice se répand dans le monde entier, je pense que l'environnement mondial se rétablira à une vitesse étonnante ».
Comme l’expliquent Tsukasa Ono et de nombreux autres spécialistes environnementaux, l’heure n’est plus à infléchir la tendance, mais à l’inverser. Nous avons besoin de processus de production, de construction et d’entretien qui permettent à la nature d’accélérer sa régénération.