Y a-t-il aujourd’hui un problème de stockage des matériaux de réemploi ?

La question du stockage des matériaux de réemploi, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, devient-elle problématique ? L’offre de matériaux est-elle supérieure à la demande ? Des terrains sont-ils disponibles en suffisance pour les stocker ? Le souci provient-il des conditions et des réglementations particulières à respecter pour l’entreposage ? Doit-on trouver d’autres manières de stocker et de vendre ces matériaux ? Comment se présente l’avenir dans ce domaine ?

Première question à se poser, celle du statut des matériaux de réemploi : déchets ou non ? Le cadre juridique semble assez clair à ce sujet :  dans la majorité des cas, les matériaux démontés soigneusement en vue d’être réemployés restent des produits. Le réemploi permet de prolonger leur durée de vie utile et correspond alors à une stratégie de prévention des déchets. De façon plus rare, il arrive aussi que le réemploi concerne des matériaux qui sont passés par le statut de déchet. Dans ce cas, leur prise en charge implique d’autres obligations administratives (permis d’environnement et d’exploitation, enregistrement comme collecteur et transporteur de déchets). Une fois les matériaux préparés pour le réemploi, ils redeviennent des produits, à conserver dans des conditions réglementées et acceptables (contraintes incendie pour le bois, protection contre l’humidité pour les luminaires …). Dans tous les cas, les matériaux réemployés doivent bien sûr satisfaire aux exigences de leur nouvel usage (par exemple, en matière de résistance au feu, de stabilité, etc.). Une approche soigneuse en matière de démontage, de manutention et d’entreposage est essentielle pour préserver leurs qualités et leurs performances. Les pratiques et les cadres réglementaires évoluent et  dans certains domaines, la question du statut reste sujette à interprétation.

A-t-on atteint les limites en ce qui concerne les capacités de stockage de ces matériaux ? La réponse n’est pas tranchée. Il faut explorer cette question sous plusieurs angles : l’offre et de la demande pour chaque type de matériau, la quantité de terrains disponibles (et leur prix) et, comme corollaire, la rentabilité économique de l’activité du réemploi de matériaux.

En France, la demande de matériaux de réemploi est globalement supérieure à l’offre. Et en Belgique ? La situation varie en réalité d’un matériau à l’autre : « Pour les filières que nous appelons ‘moins matures’, plus expérimentales, nous devons stimuler la demande. D’autres filières du secteur sont par contre bien établies : la demande et bien là et les opérateurs sont en mesure d’y répondre », affirme Michaël Ghyoot (Rotor). A Bruxelles, on démolit beaucoup actuellement mais ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Nicolas Smets (BatiTerre) : « Il faut pouvoir écouler cette marchandise et c’est là que se trouve le bottleneck. Il y a aujourd’hui un nombre limité d’acteurs de la construction qui sont prêts à faire le pas du réemploi : beaucoup sont prêts à donner leurs déchets, mais peu d’entre eux veulent bien intégrer des matériaux de réemploi sur leurs chantiers. » Un avis que partage totalement Damien Verraver (Retrival). Parmi les freins évoqués, la responsabilité des entrepreneurs (garantie décennale) par rapport aux architectes et aux maîtres d’ouvrage. Pour Damien Verraver, c’est de l’hypocrisie : « Un entrepreneur qui ne veut ni acheter ni utiliser de matériaux de réemploi venant de l’extérieur va, sur son propre chantier, réutiliser des matériaux qu’il a démontés dans une autre partie de son bâtiment, preuve que l’utilisation de ces matériaux ne met pas en danger sa responsabilité. Des études concernant le marquage CE ou la garantie décennales montrent d’ailleurs que la méfiance par rapport au réemploi n’a pas lieu d’être. »

Bien entendu, choisir des matériaux de réemploi au lieu de matériaux neufs peut demander davantage d’efforts et coûte parfois plus cher. D’autant que les coûts de main-d’œuvre – démontage, tri, nettoyage, remise en état, reconditionnement – sont importants et que les coûts de stockage doivent tenir compte du prix du terrain. Nicolas Smets : « Nous essayons d’occuper des espaces qui sont sous les prix du marché. Les activités de récupération et de préparation au réemploi demandent beaucoup de main d’œuvre. Pourtant, en bout de chaîne, les matériaux remis sur le marché ont une valeur marchande souvent limitée. Les modèles économiques sont donc très compliqués. » Michaël Ghyoot confirme : « Ce n’est pas simple de trouver du terrain dans les contextes urbains denses en raison des prix du foncier. En comparaison avec la plus-value qu’on peut tirer d’un gros projet de développement immobilier, l’économie du réemploi s’avère aujourd’hui moins compétitive. Le défi est là. »

Les terrains sont moins chers en périphérie des grandes villes. Est-ce là la solution idéale ? Pour Michaël Ghyoot, c’est une arme à double tranchant. Dans les faits, c’est là qu’on retrouve généralement les fournisseurs de matériaux de réemploi. Ils y occupent des terrains plus vastes et meilleur marché, plus adaptés au développement de leur activité. En revanche, une présence proche des centres-villes présente également de nombreux avantages : « cela permet d’être au plus proche des chantiers (de démolition et de construction) mais aussi de capter des lots de matériaux plus petits ou plus dispersés, provenant de travaux de particuliers, pour lesquels des trajets vers la périphérie ne sont pas toujours rentables. Au total, ces lots représentent des quantités non négligeables de matériaux réemployables. » Une autre possibilité est de stocker et de vendre à l’endroit du démantèlement, le temps du chantier, ce qui évite des coûts de transport et d’entreposage supplémentaires. Ceci suppose toutefois une excellente logistique et une bonne correspondance entre les calendriers des chantiers. Le manque d’espace sur les chantiers peut aussi être un frein, en particulier dans les centres-villes denses. Et, ici aussi, il n’y a aucune garantie de vendre ces matériaux… qui risquent de finir au conteneur.

Enfin, il est intéressant de voir quelles sont, pour les principaux opérateurs, les perspectives du stockage des matériaux de réemploi.

Damien Varraver : « Nous avons la volonté d’aller plus loin car il y a encore énormément de choses à faire. Stocker des matériaux qui ne seront jamais vendus n’a pas de sens d’un point de vue économique. Nous sommes donc occupés à mettre en place un projet qui permettra d’augmenter et de renforcer la demande en matériaux de réemploi. Une des difficultés actuelles est qu’il n’y a aucun endroit centralisé où les entrepreneurs et les architectes peuvent s’informer et acheter les matériaux dont ils ont besoin. Nous envisageons la mise en place d’une plateforme physique chapeautée par une plateforme digitale, qui utilisera la même grammaire et le même vocabulaire, afin de nouer des ponts entre les différentes plateformes et éviter les redondances de l’une à l’autre. Le projet se veut le plus large possible, en Belgique et même en France. »

Nicolas Smets : « Nous nous investissons dans des projets afin d’augmenter le pourcentage de réemploi mais également la confiance des architectes, des maîtres d’ouvrage et des entrepreneurs dans les produits. L’un des points importants dans ce type de démarche est une concordance avec les réalités techniques et économiques actuelles du secteur de l’économie circulaire.

Michaël Ghyoot : « Quelques éléments nous incitent à être optimistes. En Région de Bruxelles-Capitale en particulier mais aussi un peu partout en Europe, on note une intention du politique d’aller vers des principes de circularité et de décarbonation de l’économie. Le réemploi est une activité qui y a tout à fait sa place, c’est une façon de faire baisser de manière significative les impacts environnementaux de la construction. On estime aujourd’hui qu’il y a moins de 1% des matériaux qui sont réutilisés après leur premier usage. Cela ne devrait pas être très compliqué de faire au moins deux fois mieux… »